«
Mais les Maîtres du Savoir des temps tardifs, lorsque des relations plus amicales eurent été établies avec des Avari de diverses sortes en Eriador et dans le Val d’Anduin, rapportent qu’il se retrouvait fréquemment dans les dialectes avarins. Ceux-ci étaient nombreux et souvent aussi distants entre eux qu’ils l’étaient des formes eldarines du parler elfique ; mais où que les descendants de *kwendi
se trouvassent, ils ne signifiaient pas “les Elfes en général”, mais étaient les noms que les Avari se donnaient à eux-mêmes. »
1)
’avarin est le nom donné aux « nombreuses langues secrètes » parlées par les Avari, les Elfes qui refusèrent l’Appel des Valar2). Ce nom recouvre en fait un groupe de langues dérivées du quendien primitif, aussi éloignées les unes des autres qu’elle le sont des langues des Eldar3)4). Rien n’est connu de leurs premiers développements, car les Elfes Sombres ne possédaient pas l’art de l’écriture et peu d’informations sur cette période subsistent5).
Les Elfes avarins, surtout ceux du Deuxième Clan, étaient souvent hostiles aux Eldar, qu’ils considéraient comme des déserteurs6) et accusaient d’arrogance. Cela se voyait notamment par l’absence de descendants du terme primitif *ñgolodō « Sage » parmi les langues des premiers Avari tatyar que rencontrèrent les Exilés en Beleriand7). Une autre illustration du ressentiment des Avari envers les Eldar est l’histoire des termes dérivés du quendien primitif *kwendī « le Peuple », qui ne signifiaient pas « les Elfes en général » chez les Avari, mais étaient les noms qu’ils se donnaient à eux-mêmes. Les seuls termes avarins qui nous soient connus sont justement les descendants de *kwendī, dont il est dit qu’ils furent collectés à une époque tardive par les Maîtres du Savoir, une fois que des relations plus amicales furent établies avec les Avari : kindi, cuind, hwenti, windan, kinn-lai et penni. C’est ainsi que nous savons qu’il existait au moins six langues avarines différentes8).
Si les langues avarines elles-mêmes sont peu connues, il semblerait que leur impact sur les langues non-elfiques ait été considérable. Il est rapporté qu’avant que le Peuple de Bëor n’atteigne le Beleriand, il entretint longtemps des rapports avec les Avari d’Eriador, et que ceux-ci transmirent aux premiers Edain une grande partie de leur langue, ce qui aida plus tard Finrod Felagund à comprendre le parler bëorien9). Certains termes khuzdul semblent également être dérivés de l’avarin, comme le nom que les Nains donnaient aux Orques : Rukhs, pl. Rakhâs10). En fait, dans la plupart des langues des Jours Anciens dont il subsiste des traces, il semblerait que le nom donné aux Orques soit emprunté aux langues elfiques11). Pour beaucoup de ces langues, la seule source possible aux époques les plus reculées était l’avarin.
ans la narration des Contes perdus, au contraire des versions subséquentes, il est dit qu’au milieu des divergences qui frappèrent les langues elfiques, aucune ne changea aussi peu que la langue des Elfes Sombres de Palisor. Tolkien semble avoir douté presque immédiatement de la validité de cette affirmation, puisque ce paragraphe fut annoté avec des points d’interrogation12). Le même récit rapporte aussi que c’est un Elfe Sombre, Nuin « Père du Langage », qui éveilla les deux pères des Hommes, Ermon et Elmir, et leur enseigna sa langue, l’ilkorin (car il semble que Tolkien n’ait initialement pas fait la différence entre ilkorin et lemberin) :
« Enfin, vaincu par la curiosité, il en éveilla deux, nommés Ermon et Elmir ; ils étaient muets et fort effrayés, mais il leur enseigna beaucoup de la langue ilkorine ; pour cette raison il est nommé Nuin Père de la Parole. »
13)
Dans une phase ultérieure, le nom Avari lui-même fit dans un premier temps référence aux Elfes qui arrivèrent en Aman, les futurs Calaquendi14). Par opposition aux Eldar, ceux qui refusèrent l’Appel furent alors nommés Lembi. Leurs langues étaient désignées par le vocable lembien ou lemberin, et il était dit qu’ainsi « vint la première scission des langues des Elfes, entre l’eldarin et le lemberin, car les Eldar et les Lembi ne se retrouvèrent pas avant mains âges, ni pas avant que leurs langues se fussent entièrement éloignées. »15) Le « Lhammas A » précisait que cette réunion n’eut pas lieu avant « que les Elfes Verts fussent arrivés de l’Est »16), mais ce passage fut modifié dans le « Lhammas B », puisque ce texte considérait les Elfes-verts comme des Ilkorindi et les comptaient parmi les Eldar.
Dès le « Lhammas A » et le premier « Arbres des Langues » accompagnant le texte, le lemberin était considéré « dispersé et multiforme, […] jamais unifié. »17) Cet essai affirmait également que l’enseignement des Elfes Sombres était directement à l’origine des « nombreuses langues des Hommes »18) Le « Lhammas B » corriga quelque peu cette vue :
« Des langues des Lembi rien ne nous est parvenu des premiers jours, car ces Elfes Sombres n’écrivaient point et ne préservaient guère ; et depuis ils se sont évanouis et ont diminué. Et les langues de ceux qui subsistent encore dans les Terres Citérieures ne montrent guère plus d’affinités entre elles, sauf en ce qu’elles diffèrent toutes des langues eldarines, qu’elles soient du Valinor et de Kôr ou du Beleriand aujourd’hui perdu. Mais à partir des langues lembiennes furent tirés de diverses manières […] les nombreuses langues des Hommes, à la seule exception des plus vieux Hommes de l’Ouest. »
19)
Après que Tolkien décida d’attribuer le noms d’Avari aux Elfes ayant refusé l’Appel des Valar, le terme Lembi « Ceux qui furent laissés derrière »20) demeura un temps en usage, mais désignant cette fois les Elfes telerins de Beleriand (à l’exception de ceux d’Ossiriand, qui étaient supposés être une branche des Noldor à cette époque). Il fut ensuite changé en Lemberi puis en Lembar. La langue de ce peuple, d’abord nommée lemberin, puis (lors de la deuxième modification) lembarin, devint donc synonyme d’ilkorin au sens restreint21). Cet emploi est particulièrement notable dans la première version de la « Tengwesta Qenderinwa » :
« Le lemberin [→ lambarin] : aussi appelé ilkorin* [→alkorin*] était la langue des Teleri qui restèrent en Beleriand. Avant la venue des Noldor il était largement parlé en Beleriand (sauf en Ossiriand) et tous les noms de lieux, des rivières, bois, champs, plaines, collines et montagnes étaient dans cette langue. Nombre de ceux-ci demeurèrent et furent employés par les Noldor ; d’autres subsistèrent au côté des nouveaux noms noldorins.
* Mais ce nom n’est pas vraiment linguistique, et comprend aussi les Pereldar et tous ceux qui commencèrent la marche mais ne vinrent pas à Kór.
Après la venue des Noldor les langues lemberines [→ lembarines] restèrent en usage, sauf parmi des companies dispersées, principalement sur la Côte Ouest dans les havres des Falas, et dans le fort royaume de Thingol, Doriath au mitan de Beleriand. Doriathren est la langue lemberine [→ lembarine] dont on conserve le plus de récits et de souvenirs. »22)
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