Articles théoriques : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs. |
Cet article est initialement paru dans Le Tolkieniste n° 2 (fanzine), mai 1998. |
e qui est profitable dans l'étude de l'œuvre d'un écrivain, c'est souvent de se pencher sur ce qui ne s'y trouve pas. Ainsi, on a reproché au Seigneur des Anneaux d'être une épopée entièrement masculinisée, où les personnages féminins font pâle figure. Mais la réalité est plus complexe.
e titre ironique est celui d'un essai de Brenda Partridge reproduit dans J.R.R. Tolkien: This Far Land, par R. Giddings, dont le sous-titre était : The Construction of Female Sexuality in The Lord of the Rings. Partons donc de quelques observations générales.
ls sont si peu nombreux que leur énumération exhaustive est possible - dans l'ordre chronologique d'apparition dans le récit : Baie d'Or, Arwen, Galadriel, Éowyn (quelques autres noms de femmes sont évoqués, mais ils sont très largement subsidiaires). Or ces quatre personnages sont soit des rôles mineurs (Éowyn), soit de simples figurines sur un décor inamovible (Baie d'Or avec Tom Bombadil, Arwen reste à Fondcombe, Galadriel en Lórien). Il est frappant de voir en outre que Baie d'Or, avatar de Mère Nature, femme de Tom qui est lui-même d'essence divine, et Galadriel, princesse elfique, majestueuse et inaccessible, apparaissent plutôt comme des images idéalisées, sorte de topos médiéval de la femme. Enfin, même Éowyn doit se faire passer pour un homme avant de participer vraiment à l'action du récit.
n ce qui concerne les femmes, tout d'abord, deux absences sont remarquables : les femmes-Ents ont disparu (cf. ce qu'en dit Tolkien dans ses Lettres), et les Naines inexistantes. Les épouses, ensuite, sont évoquées en passant, mais complètement effacées. Prenons trois exemples : Théoden (on ne connaît pas sa femme) ; Denethor (sa femme, Finduilas, est morte) ; Elrond (sa femme, Celebrían, n'apparaît pas). Le seul exemple de « mère », enfin, est celle de Bilbo, Belladonna Touque, importante certes pour comprendre le psyché du Hobbit (cf. Timothy O'Neill : The Individuated Hobbit), mais c'est à peu près tout.
lors là… Une seule véritable passion, celle d'Aragorn et Arwen, qui constitue l'apogée eucatastrophique du Seigneur des Anneaux, mais dont la description est plus que limitée… Autrement dit, Tolkien évacue ce qui deviendra, avec Howard en particulier, l'une des figures imposées du médiéval-fantastique et qui était déjà un thème fondateur des épopées classiques : les scènes d'amour (cf. Tristan et Iseult, et, surtout, Lancelot et Guenièvre, je ne parle même pas de Conan le Barbare et de ses compagnes).
e Seigneur des Anneaux est d'abord la suite de Bilbo le Hobbit, conte pour enfants d'où la sexualité est évidemment absente (Tolkien n'est pas Bettleheim), et où les personnages féminins sont le plus souvent reines ou fées1). D'autre part, l'inspiration littéraire de la Terre du Milieu trouve ses racines dans une mythologie nordique plus patriarcale que dans le Panthéon grec ou latin2).
uatre éléments biographiques permettent d'éclairer le caractère de Tolkien à l'égard des femmes : premièrement il n'aura eu dans son enfance qu'une présence féminine incomplète (il perd sa mère à douze ans, il n'a pas de sœur). Deuxièmement, sa vie d'universitaire à Oxford est celle d'un collège pour garçons, d'un cercle masculin très fermé (les Inklings). Ensuite Tolkien possèdera toujours une vision très traditionnelle de la place de l'épouse : sa femme, Edith Bratt, est relativement effacée, n'intervient que très marginalement dans la composition des œuvres de son mari3). Enfin, on peut souligner un tempérament : Tolkien est réservé, pudique, d'autant plus sur des sujets comme la sexualité qu'il est catholique pratiquant.
défaut de personnages, le Seigneur des Anneaux recèle de nombreux caractères féminins : Arachne (« le contrepoint féminin de Sauron »), par exemple4). Les Elfes eux-mêmes possèdent certains traits féminins, comme la grâce, l'amour du chant et de la musique, la légèreté des traits… Un critique est allé jusqu'à les qualifier de “androgynously glamorous elf-lords”… Enfin certains personnages, selon O'Neill (op. cit), sont presque androgynes, Gandalf en premier lieu. Surtout, on trouve de nombreux éléments féminins : l'eau, la Lune, les étoiles (associées à Elbereth, seule divinité évoquée dans le récit)5). Terminons en citant Tolkien : « Le Mal est d'une ingéniosité sans fin, et le sexe est son sujet favori. » (Lettres)