«
Il a donc créé un alphabet tiré des marques dans les cavernes. Il dit qu’il est bien plus joli que les lettres ordinaires, que les runes ou que les lettres polaires, et qu’il convient mieux à sa patte. Il les écrit avec l’extrémité de son porte-plume ! »
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ette section se consacre aux inventions linguistiques de Tolkien en-dehors du cadre du Légendaire centré sur la Terre du Milieu. Les premières langues élaborées au cours de la jeunesse de Tolkien, soit qu’il se contenta d’y contribuer, soit qu’il les développa entièrement lui-même, appartiennent évidemment à cette catégorie. Par la suite, la rédaction des récits liés à la Terre du Milieu semble avoir absorbé l’essentiel de son énergie créatrice en matière linguistique, même s’il lui est arrivé d’employer certaines langues, comme le qenya dans des récits qui ne sauraient être rattachés au Légendaire. En revanche, Tolkien continua à inventer des systèmes d’écriture pour les récits destinés à ses enfants, comme l’alphabet gobelin, ou pour les besoins de son journal intime.
ès son plus jeune âge, Tolkien semble avoir été attiré par les langues imaginaires. Il commença par participer à l’élaboration de langues inventées par ses cousines, Marie et Marjorie Incledon, puis passa rapidement à l’invention de langues ab nihilo. Son premier essai, le naffarin, semble être dénué de tout contexte historique. Toutefois, Tolkien se rendit compte qu’une langue ne saurait exister indépendamment de ses locuteurs. Cette constatation devait bientôt le conduire à ébaucher les premières versions de ses langues elfiques et à élaborer des récits où elles seraient employées, qui constituèrent les premiers germes du Légendaire.
près ses premiers essais de jeunesse, l’essentiel des efforts d’invention linguistique de Tolkien s’est tourné vers l’élaboration progressive des langues de son Légendaire. Certaines tentatives datées de ses années estudiantines sont cependant antérieures à la période de rédaction des Contes perdus. Si elles anticipent dans une certaine mesure l’invention des premières versions des langues elfiques, leur contexte créatif sort néanmoins du cadre du Légendaire tel qu’il est généralement conçu. Bien plus tardive, la langue de l’île de Fonway constitue quant à elle une énigmatique anomalie au sein des langues construites par Tolkien. Il n’est d’ailleurs pas certain que Tolkien lui-même en soit l’auteur.
a carrière littéraire de Tolkien est indissociable de son attrait pour les langues, attrait qui se traduit non seulement pas l’invention de langues, mais surtout par un intérêt et une maîtrise de nombreuses langues de notre monde. Ainsi, enfant, sa mère lui enseigne le latin, le français et l’allemand ; durant sa scolarité, il découvre le grec, le vieil et le moyen anglais, le gotique, le vieux norrois, le gallois, ou encore le finnois. De ces langues qu’il affectionne, il en fera son métier de philologue donnant des cours sur des textes en vieil et moyen anglais, sur l’histoire de l’anglais, ainsi que des introductions à la philologie germanique, au gotique, au vieux norrois et au gallois médiéval.
Vivien Stocker — Avril 2016
L’Histoire de Kullervo, texte de Tolkien paru en 2015, vient combler un vide qui existait jusqu’alors dans l’étude de son œuvre. En effet, il était connu de longue date, par Tolkien lui-même, qu’il existait un texte faisant le lien entre le mythe finnois du Kalevala, un mythe du monde primaire, et l’un des premiers textes écrits par Tolkien, le Conte de Turambar, c’est-à-dire de façon plus générale, les tout débuts de son légendaire, le compendium de ses mythes secondaires.
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lusieurs systèmes d’écriture inventés par Tolkien ne se rattachent pas clairement à son Légendaire. On connaît au moins un alphabet élaboré par Tolkien au cours de sa jeunesse : le privata kodo skaŭta. L’alphabet gobelin n’apparaît quant à lui que dans les Lettres au Père Noël. Enfin, Tolkien employa divers systèmes d’écriture pour son journal intime. Si certains ne sont utilisés que là, comme le nouvel alphabet anglais, d’autres occupent une place intermédiaire, puisqu’ils jouent également un rôle à l’intérieur du Légendaire : c’est le cas des runes germaniques et des sarati.
Le premier système d’écriture que Tolkien semble avoir inventé date de juin 1909 et se trouve dans un carnet que Tolkien nommait The Book of Foxrook. Il s’agit d’un alphabet semblable aux runes appelé privata kodo skaŭta, ce qui est l’espéranto pour « code scout personnel ». Il comportait un nombre important de symboles idéographiques représentant des mots complets, que Tolkien appelait « monographes »2).
Le système de pictogrammes apparaît dans la « Lettre au Père Noël » de 1932. Il s’agit de figures (principalement humanoïdes) formant un alphabet qui aurait été inventé par Karhu, l’Ours du Pôle Nord. Il se serait inspiré des dessins pariétaux qu’il découvrit dans les cavernes des Gobelins qui attaquèrent à plusieurs reprises la demeure du Père Noël. Cet alphabet comporte quarante-trois signes phonétiques et un système complexe de ligatures et de diacritiques.
Le nouvel alphabet anglais3) est un système d’écriture que Tolkien inventa assez tardivement, et utilisa dans le journal qu’il commença à tenir après la mort de C.S. Lewis4). Il applique les principes structurels des tengwar et des cirth à la phonologie de la langue anglaise5). Cet alphabet emploie certaines lettres latines (quoiqu’en leur attribuant des valeurs différentes de l’usage habituel), plusieurs signes phonétiques et quelques symboles tirés du système fëanorien6).